Il y a 10.000 ans, quelque part en Afrique :
« - Il nous faut traverser le lac : les tigres à dents de sabre vont arriver… Il y a une grande barque sur le rivage
- On n’a pas de rames…
- Tant pis, on va pagayer avec nos mains
- Mais le lac est infesté de crocodiles !
- Ramassez tous ces gros cailloux et chargez l’avant du bateau
- Pour tirer sur les crocos ?
- Non : pour faire avancer le bateau ! »
Action-réaction : en lançant un caillou vers l’arrière, on augmente la vitesse du bateau, et l’accroissement de vitesse est d’autant plus grand que le caillou est massif et qu’on le lance vite !
De nos jours (?) quelque part dans l’espace, dans un vaisseau spatial, moteurs coupés, en direction de Mars :
« -On ne va pas assez vite, on va arriver après Noël…
- Pourquoi ne rallume-t-on pas les moteurs ?
- Parce qu’on n’a plus grand-chose à brûler, on a juste ce qu’il faut pour ralentir en arrivant !
- Mais on peut fabriquer de l’électricité…
- Oui, et alors, tu en fais quoi ? Tu veux faire tourner une hélice à l’arrière du vaisseau ? »
Oui, c’est comme l’histoire de la barque… Pour changer la vitesse d’un vaisseau spatial, il faut éjecter quelque chose à l’arrière (ou à l’avant !), si possible éjecter beaucoup de matière, et l’éjecter vite ! C’est pour ça qu’on emporte des propergols (un carburant et un comburant) dans les fusées : le premier, par exemple du kérosène, « brûle » dans le second, par exemple de l’oxygène, et les produits résultant de la réaction chimique sont éjectés à l’arrière. Une autre méthode est d’utiliser une molécule (comme l’hydrazine) qui a tendance à se couper en deux; les produits ainsi créés sont alors éjectés. Quelle que soit la méthode, il faut toujours éjecter quelque chose à l’arrière.
Bien sûr on peut parfois utiliser l’existence d’un champ gravitationnel (par exemple celui d’une planète ou d’une étoile) pour accélérer le vaisseau, mais ce n’est pas très maniable et un tel champ n’est pas toujours à notre disposition !
En 2100, un enfant parle à son père :
« - Tu imagines, il y a 100 ans, les hommes en étaient encore à devoir emmener des réservoirs remplis de propergols pour accélérer ou décélérer ! Maintenant on a nos moteurs atomiques ! »
- Euh… tu sais, rien n’a vraiment changé… nos réacteurs atomiques utilisent la fission des atomes pour fabriquer de la chaleur avec laquelle on fait bouillir de l’eau, c’est sympa pour faire tourner une turbine et fabriquer de l’électricité à bord des vaisseaux ou sur nos bases planétaires, ou alors on s’en sert pour chauffer un gaz qu’on éjecte à l’arrière, mais il faut quand même toujours éjecter de la matière à l’arrière si on veut accélérer…
- Et on la prend où cette matière ? Il faut l’emmener…
- Dans nos fusées, on emmène de l’hydrogène liquide qu’on vaporise, qu’on chauffe avec nos réacteurs atomiques, et qu’on éjecte à l’arrière. On a d’autres types de moteurs où c’est un plasma qu’on chauffe, mais tu vois, on fait toujours avancer le bateau en lançant des cailloux à l’arrière ! »
En 2150, en route pour Titan, un satellite de Saturne :
« - C’est super cette nouvelle technologie des moteurs à fusion ! Maintenant on peut aller vite et loin !
- Oui, d’ailleurs les bases de cette technologie existaient déjà il y a près de cent cinquante ans… Cela fait même deux cents ans qu’on sait qu’on peut fusionner des noyaux légers pour fabriquer de l’énergie, et que c’est quasiment une source d’énergie inépuisable… Un peu d’eau suffit pour alimenter en électricité un vaisseau pendant des dizaines ou des centaines d’années, et nous utilisons cette énergie pour la propulsion des vaisseaux, en chauffant un gaz ou un plasma qu’on éjecte par les tuyères. Il a fallu plus de 100 ans pour apprendre à stabiliser et à contrôler la réaction, mais maintenant ça marche !
Le problème c’est qu’il faut quand même remplir les cuves avec quelques chose… C’est sympa d’avoir de l’électricité, mais si les cuves sont vides et qu’on n’a plus rien à éjecter par les tuyères, on continue « en roue libre » pour l’éternité ! »
- Dis-moi, c’est quoi cette histoire de moteur quantique ?
- Le vide n’est pas vraiment vide, même s’il n’y a aucune matière, il y a toujours des fluctuations quantiques du vide… ce qui veut dire que des paires de particules-antiparticules y apparaissent puis disparaissent au bout d’un temps extrêmement court. L’idée farfelue à la base du moteur quantique c’est de « récupérer » ces paires de particules, par exemple des paires électron-positron, de les accélérer et de les éjecter à l’arrière d’un vaisseau. »
- Sympa, si je comprends bien on n’aurait plus besoin d’emmener quoi que ce soit, car ce serait le vide lui-même qui fournirait les particules ou le fluide qu’on éjecte ?
- Oui, mais le hic, c’est que c’est qu’il existe un très vieux principe en physique… celui de la conservation de l’énergie: si tu penses avoir perdu de l’énergie, c’est que quelque chose d’autre en a gagné ! On peut avoir l’impression que les fluctuations du vide violent ce principe car on arrive à « créer » de l’énergie à partir de rien… Oui, mais pas pour longtemps, car plus l’énergie fabriquée (à partir du vide) est grande, et plus le temps pendant lequel la fluctuation existe est court, hyper-court ! Cette idée de moteur quantique semble totalement délirante…
- Ah... dommage, et tu penses quoi des trous de vers (wormholes) et de l’hyper-espace ?
- Là, c’est différent, c’est probablement irréalisable mais au moins ce n’est pas délirant ! L’idée repose sur le fait que lorsqu’on se déplace, on se déplace « quelque part » et que, peut-être, il existe dans l’univers, entre deux points donnés, des chemins plus courts que ceux auxquels on pourrait penser. Voici une analogie: pour rejoindre l’Antarctique depuis le Groenland, le chemin le plus court semble être de marcher toujours vers le sud (surtout si on croit que la Terre est plate !) mais si on se rend compte du fait que la Terre n’est pas si plate que ça, le plus court pourrait être de forer un tunnel… C’est vraiment de la SF très très futuriste, mais les mathématiques qui décrivent les trous noirs n’excluent pas l’existence de tels tunnels connectant des endroits très éloignés de l’espace-temps. Peut-être qu’un jour les humains pourront exploiter des wormholes existants (sans se faire écraser au passage), ou en créer de nouveaux !
« - Nous sommes en 2150, à ton avis, quelle sera la future percée technologique ?
- Les moteurs à anti-matière ! C’est pour bientôt ! »
Rien n’est immobile et aller « vite » ne veut rien dire en soi car la notion de vitesse est toujours relative à quelque chose, mais si on veut changer de vitesse, et à moins de demander à quelqu’un ou quelque chose de vous pousser (principe des voiles cosmiques) la seule méthode reste toujours la même: il faut lancer des cailloux vers l’arrière.
Avec les époques, la seule chose qui change c’est la nature des cailloux et le muscle qui les lance !